Générations futures : pourquoi s’en remettre à demain ?

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Beaucoup le disent : les dommages causés à l’environnement, passés et présents compromettent l’existence des générations futures. Dès lors, comment leur rendre justice, sans accoucher d’autres injustices en chemin ? Débat….

© Soulcié

On ne cesse de le dénoncer : les dommages causés par les générations passées et actuelles compromettraient l’existence des générations futures. D’un côté, l’urgence climatique ; de l’autre, les effets à long terme des technologies, pollutions ou dégradations environnementales en tous genres, réclament en effet d’agir dès au présent pour ne pas obérer l’avenir. En clair, le concept de générations futures – et à travers lui l’idée d’en défendre les droits – offre pour certains un nouvel horizon plus soutenable à l’action publique. Cette temporalité inédite qui entre en tension avec l’étroitesse des mandats politiques peut-elle être opérable ? Comment esquisser un futur souhaitable sans peser trop fortement sur les seules générations présentes, ni remettre à demain l’ampleur des changements à initier aujourd’hui ?

Avec

Valérie Deldrève, directrice de recherche en sociologie à l’INRAE Nouvelle-Aquitaine, spécialiste des inégalités environnementales ;

Emilie Gaillard , maître de conférences en droit à Sciences-Po Rennes et coordinatrice générale de la Chaire d’excellence CNRS Normandie pour la paix ;

Pousse, étudiante et militante au sein du mouvement Youth for Climate

Cette rencontre-débat appartient au cycle Borderline, une série de podcast coproduits par la Mission Agrobiosciences-INRAE et le Quai des savoirs

Valérie Deldrève

Directrice de recherche en sociologie, Valérie Deldrève démarre sa carrière au Centre Lillois d’Etudes et de Recherches Sociologiques et Economiques (Clersé). Alors que la sociologie rurale est en plein boom, elle choisit un domaine totalement à contre-courant et peu investi : la pêche. Editée en 1998, sa thèse « Marins de pêche artisanale en Manche orientale : étude des organisations professionnelles et des pratiques des pêcheurs du boulonnais et de l’Est-Cotentin » sera le point de départ d’une réflexion, qui la conduira à faire de la justice environnementale son champ d’étude.

C’est dans son habilitation à diriger des recherches éditée en 2006 aux éditions Peter Lang, « Pour une sociologie des inégalités environnementales », qu’elle pose véritablement ce que sont les inégalités environnementales et s’intéresse aux conditions de leur émergence. Ses terrains d’études ? Ils suivent le littoral français, du Touquet jusqu’aux Calanques, sans oublier la Réunion, et se penchent tout autant sur les effets des politiques de la pêche que les impacts des aires marines protégées.

Aujourd’hui directrice adjointe INRAE de l’Unité « Environnement et territoires en transition, Infrastructures et Sociétés » au centre Nouvelle-Aquitaine Bordeaux, Valérie Deldrève a dirigé avec Jacqueline Candau le projet de recherche Effijie – « L’EFFort environnemental comme Inégalité : Justice et Iniquité au nom de l’Environnement » – qui portait sur la répartition de l’effort environnemental demandé par les politiques de l’eau et de la biodiversité en France métropolitaine et à La Réunion. Un projet dans lequel les deux chercheuses explorent la manière dont les politiques publiques génèrent des injustices ou des inégalités entre acteurs.

Coordinatrice du réseau EJJE regroupant des chercheurs francophones en sciences sociales travaillant dans le champ de la justice environnementale, elle coordonne actuellement avec le concours de trois autres chercheurs, le projet JustBaux dédié aux enjeux de justice environnementale sur la trajectoire de la bauxite. Elle est l’auteure de nombreux articles scientifiques. Parmi ceux-ci, citons notamment « La fabrique des inégalités en France. Approches sociologiques qualitatives » édité dans la revue de l’OCFC en 2020 et qui est accessible librement.

Emilie Gaillard

Maître de conférences HDR en droit à Sciences Po Rennes, Emilie Gaillard est considérée comme la spécialiste du concept juridique de droit des générations futures en France. Après y avoir dédié sa thèse – « Générations futures et droit privé. Vers un droit des générations futures » éditée en 2008, elle poursuit ses recherches sur ce thème axant celles-ci autour de deux pôles : la protection de l’intégrité de l’environnement et celle de l’intégrité humaine.

Très active, elle multiplie les publications scientifiques par exemple sur les droits transgénérationnels ou la reconnaissance des crimes contre les générations futures et la nature, sans pour autant délaisser l’arène publique pour faire connaître ce concept. Aux côtés de personnalités telles que Olivier de Schutter ou Vandana Shiva, elle participe au comité d’organisation du tribunal citoyen international contre Monsanto. Organisé à la Haye les 15 et 16 octobre 2016, ce Tribunal avait pour mission « d’évaluer les faits reprochés [à Monsanto] et de juger les dommages causés par la multinationale ». Elle est également la co-autrice de la Déclaration universelle des droits de l’humanité, élaborée à l’occasion de la COP 21 et entendue comme « le droit pour tous les habitants de la Terre à vivre dans un monde dont le futur n’est pas compromis par l’irresponsabilité du présent. »

Rien d’étonnant donc à ce qu’elle crée en 2021 le master « Générations futures et transitions juridiques », qu’elle dirige, ou encore qu’elle prenne en charge la coordination générale de la chaire d’excellence CNRS Normandie pour la paix. Lancée en 2019, cette dernière a pour objectif est de former les professionnels du droit pour qu’ils mobilisent le droit des générations futures.

Egalement codirectrice du pôle Risques à la Maison de la Recherche en Sciences Humaines de Caen, elle enseigne le droit privé, le droit international de l’environnement et les droits de l’homme à Sciences Po Rennes et au campus de Caen.

© Pitton

Pousse

Pousse, c’est d’abord un pseudo. Comme un clin d’oeil à la jeunesse de la personne qui le porte. Comme un écho au combat qui est le sien en faveur du climat et de l’environnement. Comme un leitmotiv enfin, celui de pousser les politiques à prendre bras le corps la question du climat.

Pousse est membre de l’antenne toulousaine de Youth for Climate, un mouvement indépendant, apolitique et transnational, « rassemblant les jeunes du monde entier qui agissent pour l’environnement et le futur ». Non violent, le mouvement se mobilise aux côtés d’autres collectifs sur des fronts aussi divers et vastes que les grands projets inutiles en Occitanie ou la COP 26 à Glasgow. Outre son engagement au sein de Youth for Climate, Pousse est également membre d’Extinction Rebellion, mouvement international de désobéissance civile en lutte contre l’effondrement écologique et le dérèglement climatique.