YouTube : une plateforme et un format de médiation scientifique ?

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Depuis 2012, les sciences font leur place sur YouTube. Tout à la fois plateforme et format, YouTube est devenu le terrain de jeux de la médiation scientifique. Ainsi, en 2020, ce ne sont pas moins de 458 chaînes de médiation scientifique francophones qui ont été recensées. Cependant, YouTube et son algorithme ont tendance à mettre en avant des vidéos au contenu plus ou moins douteux. Les internautes et les vidéastes mettent alors en place des stratégies pour éviter les pièges des fake news et pour informer et s’informer au mieux.

Les amateurs de vidéos scientifiques sur YouTube sont pour moitié des personnes de 25 à 34 ans. Mais ce ne sont pas moins des ¾ des 15-25 ans qui regardent de la médiation scientifique sur cette plateforme (enquête Ipsos/Lecture jeunesse). Pourtant, seulement deux jeunes sur dix déclarent s’intéresser aux sciences. Cette différence s’explique par le fait qu’ils n’associent pas les différentes disciplines aux sciences. Ils s’intéressent à la high-tech, à la santé, à l’astronomie, à l’écologie, à l’informatique… mais ne considèrent pas cela comme un intérêt pour la science.

Lorsque l’on regarde quelles sont les vidéos les plus vues sur YouTube par les 15-25 ans, les vidéos scientifiques arrivent en quatrième position. YouTube est considéré par cette tranche d’âge comme une plateforme et un format attractif, ludique, facile d’accès et permettant un accès efficace à une information de qualité. Mais c’est d’abord dans un but de détente et de loisirs qu’ils se dirigent vers YouTube.

C’est la curiosité qui les emmène à visionner de la médiation scientifique. Les 15-25 ans se dirigent vers des vidéos scientifiques dans le but de se détendre, s’instruire et être reconnu par les autres jeunes. Le rythme, le dynamisme, l’humour et la pédagogie des youtubeurs scientifiques les accrochent. C’est aussi un format qui leur permet de voir des choses inattendues et de vivre des expériences par procuration.

Mais, la curiosité des 15-25 ans est teintée d’esprit critique vis-à-vis des youtubeurs scientifiques. Ce n’est ni sur le nombre d’abonnés, ni sur le nombre de vues qu’ils jugent la légitimité et la crédibilité des vidéos qu’ils consultent. Le premier critère qu’ils mentionnent est la citation de sources vérifiables. Ils regardent les url afin de juger la fiabilité de la source et préfèrent les sources primaires (articles et revues scientifiques). Le deuxième est la transparence de la vidéo, c’est-à-dire le fait que le vidéaste soit clair sur l’origine et la finalité de la vidéo (financement, partenariat, publicité). Le troisième critère est la prise en compte des commentaires des internautes. Ils s’appuient sur l’existence d’une communauté vigilante, prompte à soulever les erreurs du youtubeur. Les 15-25 ans jugent les vidéos scientifiques sur Youtube moins fiables que des contenus académiques, aussi crédibles qu’une exposition dans un musée mais plus fiables que les médias traditionnels (TV, radio, etc.). Les 15-25 ans n’accordent donc pas une confiance aveugle aux youtubeurs. 

Mais qui sont les vidéastes derrière ces chaînes YouTube de médiation scientifique ? Ce sont en majorité des hommes entre 18 et 35 ans, ayant obtenu un master ou un doctorat en lien avec la thématique de leur chaîne, pour 70% d’entre eux. Certains ont même une formation ou un travail dans le domaine de la médiation culturelle ou scientifique. Les youtubeurs scientifiques se passionnent pour les sciences depuis l’enfance. Ils se sont lancés dans la médiation scientifique sur YouTube dans le but de partager leur passion, d’aider à la compréhension du monde et de donner le goût pour les sciences. YouTube leur permet d’avoir leur propre canal de diffusion, de toucher et d’échanger avec un large public mais aussi de traiter de façon plus riche des notions et savoirs grâce au son et à la vidéo.

Cependant, s’ils arrivent avec un bagage de connaissances scientifiques important, nombreux sont ceux qui ont appris à réaliser des vidéos en autodidacte. Car réaliser des vidéos de vulgarisation scientifique demande de nombreuses compétences : technique, communication, gestion de communauté, maîtrise du domaine, pédagogie, empathie, rédaction, etc… mais aussi de l’originalité. C’est un travail de longue haleine. Les vidéastes mettent en moyenne entre 20 à 40 heures pour réaliser une vidéo de 20 minutes.

Les étapes de production sont généralement les suivantes : recherches sur le contenu (réflexion, bibliographie), élaboration des matériaux audiovisuels, écriture du script, relecture du script, tournage et montage. L’étape nécessitant le plus de temps est la première, pouvant prendre jusqu’à plusieurs mois au vidéaste. Mais cette sélection de sources est primordiale pour la création de vidéos aux contenus fiables. Les youtubeurs scientifiques sont des vulgarisateurs professionnel-amateurs (pro-ama), c’est-à-dire des amateurs travaillant avec des standards professionnels. Si le terme d’amateur leur colle à la peau, c’est qu’ils ne tirent généralement pas un revenu suffisant pour vivre. Certains sont salariés, d’autres étudiants, la majorité ont une situation professionnelle instable. Cependant, les youtubeurs s’imposent de hauts standards de travail afin d’éviter les erreurs et la désinformation. Cela passe par la sélection de sources fiables, principalement des sources primaires.

La relecture du script par d’autres youtubeurs ou par des experts est aussi une étape importante. Les youtubeurs scientifiques, afin de maintenir leur crédibilité, ont à cœur d’expliquer et de rectifier les erreurs que leur communauté pourrait leur signaler via les commentaires. Ils s’inscrivent ainsi dans un processus autocorrectif, proche de celui des chercheurs. L’identité éditoriale de la chaîne participe aussi à la construction de l’image de médiateur scientifique crédible. Le youtubeur incarne les savoirs qu’il transmet et s’inscrit dans un réseau de youtubeurs respectant les mêmes codes. Le public sait alors à quoi s’attendre. La construction de la figure du youtubeur et la confiance de l’internaute ont lieu en parallèle, chacun élaborant des stratégies pour éviter la désinformation et les fake news.  

Pour les internautes et pour les youtubeurs, les vidéos scientifiques font partie d’un ensemble bien plus large de culture scientifique, technique et industrielle (CSTI). Les institutions de CSTI, lieux traditionnels de médiation scientifique, s’ouvrent de plus en plus aux vidéastes. Ainsi, des collaborations se mettent en place. C’est le cas du dispositif Les Connecteurs de l’AMCSTI qui a pour objectif de créer des tandems entre des vidéastes de sciences et des institutions de CSTI. Le Quai des Savoirs a accueilli en résidence, en 2020, les youtubeurs Émilien Cornillon, Florent Poinsaut et Thomas Saquet de la chaîne « Qu’est-ce que tu GEEKes ? ». D’autres résidences ont eu lieu : Théo de Balade Mentale, Gonzalo de Drop of curiosity, Redek du Mock, Clotilde de Passé Sauvage, Heliox, Arnaud de Stupid economics Juliette du Bizarreum, Pleen et Méli d’Edukey ou encore les vidéastes de la chaîne Avide de Recherches…

De plus, le Quai des Savoirs, en partenariat avec le café des sciences, propose chaque saison une sélection de vidéos autour de thématiques en lien avec l’exposition et la programmation. Les collaborations entre vidéastes et institutions de CSTI permettent un enrichissement mutuel. Les institutions s’inspirent de la façon spontanée et directe de communiquer des youtubeurs et atteignent un public qui se rend peu dans ces institutions, les 12-35 ans. Les youtubeurs profitent du réseau de la structure, avec le monde de la recherche entre autres. Cela leur permet de gagner en crédibilité. Les partenariats entre youtubeurs et institutions profitent à tous, et plus particulièrement au public.

Il est cependant intéressant de noter que depuis la pandémie le public des vidéos semble avoir évolué : les 15-18 ans ont changé leurs habitudes et sont maintenant plus sur d’autres plateformes telles que Twitch, Tik Tok ou Instagram. C’est en effet ce que semblent constater certains youtubeurs tel que Tania Louis l’expliquait lors de la diffusion en avant première du deuxième épisode réalisé par Avide de Recherche en collaboration avec le Quai des Savoirs. Cette évolution des pratiques invite à se questionner sur la possibilité, pour les institutions et les vidéastes, d’investir ces nouvelles plateformes. En tout cas, la médiation scientifique n’est pas prête d’arrêter son évolution. 

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