Où sont passés les experts ?
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Évaluation de la dangerosité des pesticides, gestion de la pandémie de Covid-19, perturbateurs endocriniens, autant de dossiers pour lesquels l’expertise est tout à la fois exigée et… critiquée. Comment l’expliquer ? Que peut-on vraiment attendre de l’expertise scientifique en temps de crise ?
Pensée pour objectiver une problématique et permettre aux décideurs de prendre une décision éclairée, l’expertise scientifique se trouve ainsi en crise… depuis au moins 30 ans. Une crise donc permanente entre soupçons de conflits d’intérêt, dénigrement d’évaluations et instrumentalisation par les pouvoirs politiques pour légitimer leur décision sous couvert de scientificité. L’expertise ne ferait-elle plus ses preuves ? D’autant qu’avec la crise du Covid-19, aux côtés d’un conseil scientifique dédié venant en appui du gouvernement, se sont ajoutées tous les experts plus ou moins autoproclamés, qui ont distillé leurs avis sur les plateaux radio et télé, jetant un peu plus le trouble sur cette fonction.
Dans ce contexte qui croire ? Que peut-on vraiment attendre de l’expertise scientifique en temps de crise ? Et quelles nouvelles formes d’expertise – collective, hybride – sont à même de redonner du sens à cet exercice ?
Co-organisée par la Mission Agrobiosciences-INRAE et le Quai des savoirs, cette rencontre-débat proposait de faire le point.
Qu’il s’agisse de la dangerosité des pesticides, des effets des perturbateurs endocriniens ou de l’évolution du climat, l’expertise scientifique constitue un pivot de nos sociétés démocratiques. Figure d’autorité située à mi-chemin entre « savoir et pouvoir », l’expert et sa parole ont été ébranlés dans les années 1990 avec les crises de la vache folle et du sang contaminé.
La création d’agences d’expertise telles que l’Afssa en France (1999), puis l’EFSA en Europe (2002) a certes permis d’institutionnaliser la procédure, sans pour autant faire cesser les critiques. Derniers rebondissements en date, la publication d’un rapport sur la crédibilité scientifique de l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, qui a remplacé l’Afssa), aux conclusions « peu flatteuses » (Le Monde). Ou encore la demande adressée par le ministre de l’agriculture Marc Fesneau à l’Anses « de revenir sur sa volonté d’interdire les principaux usages du S-métolachlore ».
Ayant en effet compétence pour délivrer les autorisations d’utilisation des pesticides, l’Anses a annoncé engager une procédure de retrait de cet herbicide en février dernier (France Infos).
Nos invités
Jean-Pierre CRAVEDI, ancien directeur de recherche INRAE, ancien expert au sein de l’EFSA, président du conseil scientifique d’Aprifel ;
Pierre-Benoît JOLY, président du centre INRAE Occitanie-Toulouse, spécialiste de sociologie de l’innovation, président du Groupe de travail « Crédibilité de l’expertise scientifique » issu du Conseil scientifique de l’Anses ;
Didier POURQUERY, journaliste, président de The Conversation France et de Cap Sciences ;
Bruno SPIRE, directeur de l’équipe SanteRCom (Inserm), ancien président de l’association AIDES
Cette rencontre-débat appartient au cycle Borderline, une série de podcast coproduits par la Mission Agrobiosciences-INRAE et le Quai des savoirs
Jean-Pierre CRAVEDI
Toxicologue, ancien directeur de recherche de l’Inra, il a publié plus de 300 articles dans des revues internationales à comité de lecture et a contribué à plus de 150 rapports d’expertise sur l’évaluation du risque des substances chimiques.
Il a été membre de différents conseils scientifiques à l’Inra et à l’Anses et a contribué à plusieurs groupes de travail dans les agences nationales et internationales d’évaluation du risque. Depuis 2020, il préside le Conseil scientifique d’Aprifel, l’agence pour la recherche et l’information en fruits et légumes.
Pierre-Benoît JOLY
Ingénieur agricole de formation et docteur en économie, Pierre-Benoît JOLY préside le centre INRAE Occitanie-Toulouse depuis le 1er janvier 2020. Après avoir usé les bancs de l’École d’ingénieurs de Purpan, puis ceux de l’Université Toulouse 1, c’est en 1987 qu’il rejoint l’INRAE.
Assez rapidement, il oriente ses recherches sur l’étude des Sciences et techniques, plus précisément l’évolution des formes de participation du public à l’évaluation technologique (controverses publiques, conférences citoyennes…), l’utilisation des avis scientifiques dans la prise de décision publique ainsi que les rapports entre sciences et décision publique. OGM, vache folle et nanotechnologies sont quelques-uns des dossiers sur lesquels il a travaillé.
Instigateur en 1996 du CRIDE (Collectif sur les Risques, la Décision et l’Expertise), il dirige, de 2009 à 2014, l’Institut Francilien Recherche Innovation Société (IFRIS), avant d’être à l’initiative, en 2015, de la création du LISIS, le Laboratoire Interdisciplinaire Sciences Innovations Sociétés (LISIS), unité mixte de recherche INRAE-CNRS-Université Paris-Est, qu’il préside jusqu’en 2020.
Directeur de recherche INRAE, auteur de nombreux articles et chapitres d’ouvrages, il est également membre correspondant de l’Académie d’Agriculture de France et membre de l’Académie des technologies. Tout récemment, il a présidé le groupe de Travail « Crédibilité de l’expertise scientifique » issu du conseil scientifique de l’Anses, pour « analyser la situation et formuler des recommandations visant à renforcer la crédibilité des expertises de l’Agence ».
Didier POURQUERY
Ce diplômé de Sciences Po Paris et de l’ESSEC a parcouru un large éventail de médias dont il a fait plus que partager l’aventure, depuis ses débuts à Libération puis au journal Le Monde dans les années 1980.
Rédacteur en chef de plusieurs titres, successivement Sciences & Vie Economie, La Tribune, VSD, L’Expansion et Métro, il lance notamment, en 2009, le supplément Monde Magazine. Auteur prolifique d’un roman et de plusieurs essais, dont le dernier « Sauvons le débat, osons la nuance », est paru en 2021 aux presses de la Cité, il participe à la création, en 2015, du média en ligne The Conversation France où journalistes, chercheurs et universitaires éclairent l’actualité. Il en dirige la rédaction pendant cinq ans, avant d’en prendre la présidence en 2019. Attaché au partage des savoirs, il préside également depuis janvier 2018 le centre de culture scientifique bordelais, Cap Sciences.
Bruno SPIRE
Entré à l’Institut Pasteur en 1983, au sein de l’équipe de Françoise Barré-Sinoussi (Prix Nobel de médecine 2008) et Jean-Claude Chermann, il participe durant plusieurs années aux premiers travaux liés à la découverte du virus du Sida.
Parallèlement, il devient volontaire au sein de l’association française de lutte contre le VIH et les hépatites virales, AIDES, qu’il présidera de 2007 à 2015.
Progressivement, très attaché à la multidisciplinarité et conscient de la dimension humaine de la maladie, il se réoriente vers les sciences sociales et rejoint, en 1999, l’équipe de l’économiste de la santé Jean-Paul Moatti, à l’Inserm : Sciences économiques et sociales de la santé et du traitement de l’information médicale (Sesstim). Depuis, les recherches de Bruno Spire sont axées sur les perceptions et les comportements des personnes touchées ou exposées au VIH, en collaboration avec les militants associatifs.