Le chercheur-militant, un nouveau citoyen ?
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En partie au nom de l’urgence climatique, ressurgit fortement la « figure » du chercheur-militant qui engage activement ses savoirs dans l’espace politique. Que dit ce phénomène de la place et du rôle des sciences – et des scientifiques – dans notre société contemporaine ?
Aujourd’hui largement relayées par les médias, deux positions s’opposent dans le champ académique : d’un côté, les tenants d’une « autonomie » des sciences et d’une exigence de neutralité, avec une séparation stricte des arènes politiques et scientifiques. De l’autre, en partie au nom de l’urgence climatique, ressurgit fortement la « figure » du chercheur-militant qui engage activement ses savoirs dans l’espace politique.
Au-delà des logiques binaires, ce débat propose d’explorer les limites posées traditionnellement entre sciences et militantisme et que semblent franchir de plus en plus de chercheurs dans des disciplines variées. Que dit ce phénomène de la place et du rôle des sciences- et des scientifiques- dans notre sociéte contemporaine ? Doit-il nous inviter à renouveler les approches et les cadres de pensée en matière de production de savoirs ainsi qu’à réfléchir à de nouvelles régulations ?
Nos invités
- Francis Chateauraynaud, sociologue EHESS ;
- Pierre Cornu, historien INRAE ;
- Laure Teulières et Julian Carrey, membres de l’Atécopol ;
- Jean-Paul Krivine, rédacteur en chef de Science et pseudo-sciences ;
- Emmanuel Rial-Sebbag, juriste Inserm ;
- Alain Kaufmann, directeur du ColLaboratoire de l’Université de Lausanne
Cette rencontre-débat appartient au cycle Borderline, une série de podcast coproduits par la Mission Agrobiosciences-INRAE et le Quai des savoirs
Francis Chateauraynaud
Directeur d’études en sociologie à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS), Francis CHATEAURAYNAUD a fondé et dirige le Groupe de Sociologie Pragmatique et Réflexive. Derrière ce nom quelque peu hermétique, se cache une pratique mêlant la théorie, des outils d’analyse originaux et des enquêtes de terrain. Soucieux de suivre les controverses, les crises et les conflits dans leur dynamique constante, le chercheur a ainsi forgé la notion de « lanceur d’alerte » dès les années 1990 : il en précise les contours dans son dernier ouvrage, Alertes et lanceurs d’alerte (PUF, coll. « Que Sais-je », 2020). Rédacteur en chef du carnet de recherche Socioinformatique et argumentation, il a signé de nombreux autres articles et écrits majeurs, dont Aux bords de l’irréversible. Sociologie pragmatique des transformations (Editions Pétra, coll. « Pragmatismes », 2017), cosigné avec Josquin Debas, qui aborde les risques et menaces actuelles qui reconfigurent nos sociétés, tout en rompant avec le catastrophisme.
Pierre CORNU
Professeur d’histoire contemporaine et d’histoire des sciences à l’Université Lumière Lyon 2, Pierre CORNU coanime l’axe 1 du laboratoire d’études rurales (LER, Lyon) : « Le développement agricole et rural entre sciences, techniques et société ». Ses thèmes de prédilection ? La question de l’aboutissement dans le temps présent de la longue histoire de la domestication du vivant, qu’il développe dans une approche pluridisciplinaire et dont il explore les effets sur l’ordre social, politique et symbolique. Dans cette perspective, il s’intéresse tout particulièrement aux sciences agronomiques, zootechniques ou biotechnologiques, qu’il étudie dans leur rapport à la rationalisation du vivant. Membre du bureau du Comité d’histoire d’INRAE, il a notamment signé les ouvrages La systémique agraire à l’INRA (Quae, 2021) et, aux côtés d’Egizio Valceschini et d’Odile Maeght-Bournay, L’histoire de l’Inra entre science et politique (Quae, 2018) : faisant appel à la mémoire de ses acteurs, le livre retrace la trajectoire historique de l’Inra, à travers la genèse d’une gouvernance globale du vivant et de la sécurité alimentaire.
Laure TEULIÈRES
Maîtresse de conférences en histoire contemporaine à l’Université Toulouse-Jean Jaurès, Laure TEULIÈRES s’intéresse de longue date aux enjeux écologiques contemporains et à l’histoire du fait migratoire et de l’immigration en France. A ce titre, elle a notamment codirigé la revue Diasporas – Circulations, migrations, histoire et participé aux conseils scientifiques du Musée national de l’histoire de l’immigration et de l’Ethnopôle « Migrations, frontières, mémoires ». En 2018, elle co-initie l’Atelier d’écologie politique (Atécopol) qui réunit des chercheur.es issus de disciplines variées et de quasiment tous les établissements de recherche toulousains. L’objectif ? Faire face aux bouleversements écologiques en cours et à venir en tissant des liens entre des connaissances dispersées. Ce, dans la perspective d’utiliser ces savoirs pour informer le débat public et réfléchir aux moyens de réorienter la trajectoire de notre société.
Julian CARREY
Julian CARREY est physicien et professeur à l’Institut National des Sciences Appliquées (INSA) de Toulouse. Au sein du Laboratoire de Physique et Chimie des Nano-objets, il s’est longtemps intéressé à l’utilisation des nanoparticules magnétiques en cancérologie, notamment, avant de se pencher plus récemment sur la métallurgie solaire. L’objectif : mettre au point un procédé de métallurgie entièrement affranchi du charbon. Penseur de l’après-pétrole, il a par ailleurs signé l’ouvrage Sans pétrole et sans charbon – ouvrages à destination des honnêtes gens souhaitant réfléchir de manière méthodique à l’avenir technique de l’humanité (2020), dans lequel il revient sur les millénaires durant lesquels les humains ont vécu sans utiliser d’énergie fossile.
Très engagé face aux bouleversements écologiques en cours et à venir, Julian Carrey se montre particulièrement actif au sein de l’Atelier d’écologie politique (Atécopol), un collectif de chercheur.es toulousain.es œuvrant pour l’inflexion de nos trajectoires politiques et socioéconomiques actuelles.
Jean-Paul KRIVINE
Jean-Paul KRIVINE est connu du public pour son rôle, depuis plus de vingt ans, de rédacteur en chef de Science et pseudo-sciences, la revue de l’Association Française pour l’Information Scientifique (AFIS), association qu’il présida en 2019 et 2020. Sa ligne éditoriale ? Éclairer le grand public sur les controverses aux frontières des sciences, des techniques et de la société. Elle s’intéresse en particulier aux sujets relatifs à la santé et à l’environnement. Fondée en 1968 par le journaliste Michel Rouzé, L’AFIS se prononce pour une séparation claire entre expertise scientifique et décision politique, affirmant que la « science dit ce qui est mais ne dicte pas ce qui doit être ». À ce titre, elle prend régulièrement position pour regretter un mélange des genres qui conduit à la fois à obscurcir le débat démocratique et à brouiller la parole scientifique. L’AFIS s’inscrit dans le courant rationaliste et promeut la démarche scientifique et l’esprit critique.
Emmanuelle RIAL-SEBBAG
Droit de la santé et bioéthique sont au cœur de la trajectoire d’Emmanuelle RIAL-SEBBAG, juriste et directrice de recherche à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm). Elle travaille actuellement à Toulouse, au sein du Centre d’Épidémiologie et de Recherche en Santé des Populations (CERPOP) et enseigne à la Faculté de Médecine. A travers des objets de recherche comme les biobanques ou les tests génétiques, elle met un point d’honneur à concilier droit des patient.es et innovations de la recherche biomédicale. Auteure de nombreux écrits scientifiques, elle a récemment contribué à l’ouvrage Traité de bioéthique (Érès, 2018), coordonné par Emmanuel et François Hirsch. Au-delà de ses fonctions académiques, Emmanuelle Rial-Sebbag est également responsable de la plateforme « Genotoul Societal », qui encourage la mise en discussion des aspects éthiques, légaux et sociétaux associés aux biosciences.
En 2018, enfin, c’est sans surprise qu’elle prend la responsabilité scientifique de la chaire UNESCO « Éthique, Science et Société », visant à promouvoir la recherche, la formation et l’enseignement relatifs aux questions sociétales soulevées par l’innovation technologique.
Alain KAUFMANN
Sociologue et biologiste, Alain KAUFMANN a navigué entre différentes institutions scientifiques, depuis l’Institut d’anatomie de l’Université de Lausanne au Centre de Sociologie de l’Innovation de l’École Nationale Supérieure des Mines de Paris. Tout aussi variés sont ses thèmes de recherche : citons la participation du public aux choix scientifiques et techniques, les risques technologiques ou encore les aspects sociaux et anthropologiques de la recherche biomédicale. Auteur de nombreux écrits scientifiques, il a notamment cosigné, avec Pierre-Benoit Joly, l’ouvrage Du risque à la menace. Penser la catastrophe (PUF, 2013). Également soucieux de promouvoir la médiation scientifique, Alain Kaufmann fonde, en 2002, l’Interface Sciences-Société de l’Université de Lausanne. En 2019, l’organisme fait peau neuve et devient le ColLaboratoire : une unité de recherche-action, collaborative et participative destinée à promouvoir l’innovation sociale par la recherche, ainsi que les coopérations sciences-société.