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La foule, une actrice du spectacle vivant
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En acceptant de répondre aux questions du Quai des Savoirs, l’artiste Neil Beloufa dévoile le processus de création de Toujours Vivants avec les rouages techniques et les enjeux économiques et politiques qui en découlent. Pour lui, c’est important de “mettre les mains dans le cambouis”.
Après la première présentation de Toujours Vivants lors de l’édition 2024 du Nouveau Printemps et quelques temps avant la seconde version qui sera proposée au festival Lumières sur le Quai, nous interrogeons Neil Beloufa sur comment l’IA et la narration s’articulent pour créer une expérience unique.
L’expérience qui vous est proposée : créez votre avatar et faites des choix de vie qui impacteront votre destin sur une île hostile peuplée de personnages surprenants.
L’histoire a été imaginée par l’auteur et réalisateur Alain Guiraudie en collaboration avec les artistes technophiles Neil Beloufa et Grégoire Beil et produite par le Studio.ebb.
D’où vient cette collaboration avec Alain Guiraudie ? Comment le projet est-il né ?
C’est Alain qui est venu me chercher, il connaissait notre travail à Grégoire et moi. En fait, c’est une espèce d’opportunité : nous, on crée des modèles d’IA et lui est auteur et fait des images. J’ai trouvé ça intéressant d’avoir les impulsions d’un auteur et de travailler avec quelqu’un qui a beaucoup de matière.
D’un point de vue technique, on a joué d’une part avec des modèles d’images des films et des photos venant d’Alain et d’autre part avec trois profils d’agents : dialoguistes, scénaristes et narrateurs [ndlr : les agents sont des systèmes intelligents autonomes qui effectuent des tâches spécifiques sans intervention humaine]. Puis, on a utilisé des LLM (Large Language Models) en faisant des tests de conversation avec Alain et les personnages de l’histoire pour donner l’illusion d’une séquence narrative qui fonctionne. On essaie aussi de voir si on arrive à générer tout ce qui ne nous intéresse pas. On veut voir si la machine peut créer, elle aussi, une histoire.
Est-ce que l’IA vous a surpris dans ce qu’elle a généré ? Ou est-elle restée très “conventionnelle” ?
Les IA sont paresseuses, elles choisissent les routes les plus faciles et les moins risquées. Elle a écarté les éléments saillants et intéressants du vocabulaire d’Alain pour obtenir un résultat plus uniforme. Par exemple, elle a éliminé des personnages paradoxaux, comme la nymphomane ou l’anthropophage, alors que c’est ça qui fait que le scénario est original.
Dans Toujours Vivants, vous pouvez faire des choix. Sur cette île, une rencontre peut changer votre destin.
Il y a eu un moment amusant où Alain voulait qu’un personnage ne parle pas. Donc on a essayé de faire des conversations entre une IA et un personnage qui ne répondait pas et là l’IA ne comprenait pas.
Quelques mois après la première diffusion de Toujours Vivants, qu’est-ce que vous en retirez ? En tant qu’artiste ?
Artistiquement, en fait, on est un peu frustrés. On s’est heurtés à de très nombreuses problématiques techniques. On a bien les contenus, l’univers, les personnages, maintenant ce qui est dur pour nous, c’est l’automatisation avec le visiteur pour générer une séquence, un film unique et individuel.
Ce projet m’a fait réaliser que la puissance de calcul représente l’économie du futur. Ce n’est pas normal qu’il n’y ait pas d’infrastructures numériques de distribution culturelle qui soit au niveau des gens qui distribuent du contenu mais seulement entre les mains de certaines grandes puissances uniquement. Il y a un manque de réflexion et de moyens pour créer des infrastructures narratives, multi-utilisateurs, répétables. La décorrélation est violente entre ce qu’on livre et ce qu’on fabrique, ce que je n’ai jamais vécu auparavant.
Votre travail a été exposé à la fondation EDF à Paris pour “Demain est annulé”, une exposition qui aborde la sobriété et la durabilité dans le monde artistique. Comment ces thématiques sont abordées dans Toujours Vivants ?
C’est en essayant de voir comment ça fonctionne qu’on se rend compte des choses réellement, même en termes d’écologie. Pour ce projet, on a utilisé une infrastructure Google pour les cartes et les serveurs ainsi que des modèles open source. Actuellement on est en train de développer volontairement des cartes très lentes. On s’est aperçu que ce serait ça le débouché un peu vertueux et rigolo…
Dans les deux premières versions de Toujours Vivants, le film se génère en une quinzaine de minutes.
On a choisi de faire une balance éthique entre ce qu’on pense que l’on peut dépenser au niveau énergétique et le temps que la personne doit attendre pour avoir sa vidéo. Si on fait les choses sur des semaines ou des mois, on peut réaliser un film qui limite vraiment le coût en carbone.
Et bien sûr, il y a le scénario d’Alain. Il a choisi une thématique “postapocalyptique” où il n’y a plus d’électricité, plus d’énergies etc… Ça nous renvoie à nos préoccupations d’aujourd’hui.
Quelle est la suite pour Toujours Vivants ?
Notre fantasme est de créer une série. Pour le moment, on travaille sur l’écriture d’un monologue. Dans la version 1 on a essayé de développer plusieurs scénarios et là on veut vraiment se concentrer sur un seul en développant une conversation entre le public et l’un des personnages du film.
Le but c’est que les gens deviennent un personnage à proprement parler du jeu et qu’ils invitent d’autres personnes qui deviendront eux aussi des personnages. C’est vers là qu’on veut aller.
Neïl Beloufa interroge la société et ses enjeux à travers des films, sculptures et installations. Il s’est formé aux Beaux-Arts et Arts Décoratifs de Paris, aux Etats-Unis et à Tourcoing au Fresnoy. Nommé pour plusieurs prix prestigieux, il a notamment reçu le Prix Meurice en 2013. Ses œuvres ont été exposées mondialement, notamment au MoMA, au Palais de Tokyo et au Centre Pompidou.
L’installation interactive Toujours Vivants sera présentée lors du festival Lumières sur le Quai 2024. Deux voitures, présentes aux abords du Quai des Savoirs, donneront les instructions du jeu.
Photo en tête : Aldric Lamblin
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