IA génératives et droit d’auteur, ça donne quoi ?

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Internet regorge de contenus crées ou co-crées avec intelligence artificielle : des textes, des images, des musiques et même des voix. Mais avec quelles règlementations ? Comment s’assurer que la création humaine reste protégée ? 

Le 1er août rentrait en vigueur le règlement européen IA ACT, l’occasion de revenir avec la chercheuse Céline Castets-Renard sur les points clés prévus pour la protection des titulaires de droits.

Propos recueillis le 01/10/2024


Il y a plusieurs aspects à considérer dans le processus. D’une part, l’alimentation des IA génératives avec les données qu’on lui fournit [nommées aussi inputs] qui peuvent être le web dans son intégralité ou une base fermée. D’autre part, les productions qui sont faites par ces IA génératives qui peuvent elles aussi être soumises à une réglementation liée à la protection des œuvres.

En 2019, une directive prévoyait déjà une disposition permettant aux auteurs de retirer leurs œuvres des bases de données [ce qu’on appelle l’output]. Mais, à cette époque, l’IA générative n’était pas autant généralisée qu’aujourd’hui. 

Depuis juin dernier, dans le cadre du règlement européen sur l’intelligence artificielle (IA ACT), l’article 53 appuie très fermement cette mesure d’output.

A ce jour, mettre en œuvre ce système de protection des créations est très complexe car il n’existe pas une liste exhaustive des œuvres non utilisables par les IA. Aussi, les artistes doivent protéger leur travail par exemple en intégrant des filigranes numériques censés bloquer leurs usages par les IA génératives. Mais dans les faits, ça ne marche pas dans toutes les circonstances et avec tous les outils. Et malheureusement, je ne suis pas certaine que tous les artistes aient le réflexe de se protéger ou de documenter ce qu’ils font. Je pense qu’il faut prendre ce réflexe-là dès lors qu’on utilise des outils d’IA. 

On travaille actuellement sur cette question de l’output à l’échelle de la France avec le CSPLA (Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique) et à l’échelle européenne avec la création d’un registre centralisé.

Céline Castets-Renard sera vice-présidente du groupe de travail sur le Copyright établi par la Commission européenne dans le but de rédiger un code de pratique à destination des titulaires de droits pour faciliter le droit d’output. Celui-ci sortira en avril 2025.

Pour répondre à cette question-là on va regarder la place de l’humain et la place de la machine. Si vous produisez des images sans trop diriger le système, ça veut dire que c’est automatiquement généré et donc il n’y a pas vraiment de rôle de l’auteur. 

Donc là on considérera que l’intervention humaine n’est pas suffisante. Pour qu’une œuvre soit protégée par le droit d’auteur il faut qu’il y ait une création de forme. Il faut qu’il y ait une originalité qui est l’empreinte de la personnalité sinon ce ne sera pas protégé par le droit.  

En revanche, si on dit à la machine “non, recommence, je veux des contrastes, je veux des lumières, je veux telle couleur, je veux telle ambiance, etc”, là il y a des intentions de l’auteur et finalement l’IA n’est qu’un outil. Dans ce cas, si on arrive à prouver qu’on a vraiment participé, contribué et qu’on a exprimé sa personnalité, le droit d’auteur s’applique. La machine seule n’a pas de personnalité juridique.

Aux Etats-Unis il y a l’exception de fair-use (l’usage équitable) équivalent au fair-dealing au Canada.

L’usage équitable est une doctrine du droit américain selon laquelle de brefs extraits de documents protégés par le droit d’auteur peuvent, dans certaines circonstances, être cités textuellement à des fins telles que la critique, le reportage d’actualité, l’enseignement et la recherche, sans qu’il soit nécessaire d’obtenir l’autorisation ou de payer le titulaire du droit d’auteur. Source: Dictionnaire Oxford Languages

Aux États-Unis, on se préoccupe aussi de la représentation des comédiens, de la récupération de leur voix ou de leur posture. Il existe des lois pour protéger les aspects liés à la personnalité comme l’Elvis Act qui a été adopté dans l’état du Tennessee. Ce n’est pas vraiment du droit d’auteur, mais ce sont plus des droits de la personnalité. Ces lois protègent les auteurs de leur vivant, mais aussi à leur mort.  

De mon point de vue de citoyenne, j’ai confiance en la créativité humaine. Quand on se rend compte que l’IA est toujours nourrie par d’autres œuvres d’IA, au bout d’un moment, il y a une espèce de dégénérescence.  

Il va forcément avoir des ajustements avec le développement de l’IA donc il est très important de prévoir un cadre et d’activer les différentes branches du droit pour veiller à une protection des artistes. Il y a aussi le droit du travail et les négociations syndicales qui font parties de tout l’arsenal législatif pour protéger ces auteurs.  

Puis, la titularité des droits est individuelle mais l’exercice des droits peut être plus collectif en revanche.

Comme le souligne Céline Castets-Renard, des collectifs d’artistes se mobilisent pour faire respecter leurs droits.

C’est le cas de l’initiative des artistes Holly Herndon et Mat Dryhurst qui ont mis au point le site web HaveIBeenTrained pour permettre aux artistes de faire retirer leurs images des bases de données des outils IA. En saisissant simplement des mots-clés, des URL d’images ou en téléchargeant leurs propres images, les utilisateurs peuvent rapidement savoir si leur travail fait partie de ces ensembles de données. Source : fisheye immersive

Céline Castets-Renard

Céline Castets-Renard


Références :

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Crédit photo en tête : Adobe Stock – Veayo

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