Résidence au Quai des Savoirs en juin 2024
La collaboration de l’artiste Nicolas Gourault avec le Quai des Savoirs révèle le quotidien des microtravailleurs en ligne qui annotent des images pour faire fonctionner les voitures autonomes.
En effet, le métier de ces hommes et de ces femmes qui nourrissent les intelligences artificielles est très peu documenté et photographié. Comble du cynisme, les seules images disponibles sont elles-mêmes générées par IA renforçant cette invisibilité systémique.
Lors de son accueil en résidence, Nicolas Gourault a travaillé sur l’idée de donner une matérialité en taille réelle à ce travail fastidieux réalisé par les travailleuses et travailleurs du clic. En s’appuyant sur son travail d’enquête mené pour l’œuvre-vidéo Unknown label pour lequel il a reçu un prix au festival Ars Electronica 2024 dans la catégorie New Animation Art, il a travaillé sur un nouveau média, l’image fixe, proposant une nouvelle entrée dans cet univers invisible que la vidéo de 26 minutes.
Qu’une partie du “micromarché du travail en ligne”
L’objet d’étude de Nicolas Gourault n’est qu’une facette de ce que le sociologue et spécialiste du digital labor Antonio Casilli nomme “le micromarché du travail en ligne”.
Dans Unknown label, les microtravailleurs exercent ce qu’on appelle la “segmentation d’images” qui consiste à dessiner un contour autour de chaque objet d’une image donnée et d’y apposer une étiquette. Ce processus permet aux voitures autonomes d’alimenter leur intelligence artificielle, et concrètement, de distinguer un arbre d’un piéton ou de tout autre objet du mobilier urbain.
De façon plus large, ce microtravail sert aussi à alimenter les bases de données d’applications que nous utilisons au quotidien : YouTube, Instagram, TikTok, ChatGPT… Dans la prochaine version de son ouvrage « Waiting for Robots. The Hired Hands of Automation », Antonio Casilli donne des exemples de ces microtâches : « composer une playlist de reggae » ou « regarder une vidéo de quinze secondes et choisir trois mots pour la décrire ». Ce travail non qualifié et peu rémunéré est celui de millions de personnes dans le monde.
Rendre visible l’invisible
Dans le projet “Les mains qui détourent le monde” qui sera présenté lors du festival Lumières sur le Quai 2024, l’artiste dévoile la dimension sociale de ce type de travail en ligne. De part et d’autre d’une suite d’images retraçant le processus de segmentation, des témoignages de microtravailleurs localisés au Kenya, au Vénézuela et aux Philippines sont retranscris et illustrés par des images de leur intimité.
L’exposition permet aussi de dézoomer sur ce phénomène et d’en saisir l’ampleur grâce aux données scientifiques issues de l’ouvrage d’Antonio Casilli : “Les estimations montrent que les travailleurs en ligne, qu’ils soient freelances ou microtravailleurs, représentent entre 4,4 % et 12,5 % de la main-d’œuvre mondiale”.
En mêlant le regard de l’artiste avec celui du chercheur, cette présentation inédite ouvre une fenêtre sur ce qui se cache derrière l’artificialisation de notre monde.